Je suis sereine...

Toujours nostalgique, triste et sombre mais sereine... Je faisais des cauchemards, ils sont loin derrière moi à présent, la maladie ne les a pas fait revenir et tant mieux... Je suis mieux sans, mais sans être vraiment mieux...

Elle était tout ce à quoi je m'identifiais, mon éffigie, mon tout, mon modèle... Elle avait eu une vie heureuse, sans remords. Quatre enfants, Mai 68, dix petits-enfants, de la bouillie au chocolat à n'en plus vouloir, le ménage des jeux de sorcellerie à base de craies et d'eau, des heures inlassée à répondre que non pas de coca mais que oui un verre d'eau à deux serveuses en herbe, lire le journal en nous écoutant nous disputer, faire des mots croisés assise sur une chaise sur la terrasse à vérifier qu'aucune de nous ne se foule la cheville en jouant à la marelle,...

J'ai eu mal, comme jamais plus on ne pourra me faire souffrir (sauf si Nannie repart, là j'crois qu'je le supporterais pas deux fois). J'ai pleuré jusqu'à en épuiser mon corps, jusqu'à ce que mes yeux soient secs à ne plus pouvoir les cligner. Je me suis blottie pendant des années dans ma couette, la tête sous l'oreille pour que ces cauchemards ne me rattrapent pas. J'ai été suivi par une psychologue à qui je dois beaucoup de choses pendant près d'un an et demi. J'ai peur encore le soir quand je me couche de la voir apparaître au coin de la porte... Et pourtant...

Et pourtant, ça fait plus d'un an que sa photo n'a pas quitté mon mur, qu'elle reste accrochée, qu'elle ne dort plus avec moi sous le travers-sein. Ca va faire un an au mois de Juillet que je supporte retourner dormir dans sa chambre, là où une nuit avec ma cousine on a cru la voir. Ca va bientôt faire dix-neuf ans que je l'aime comme je ne pourrais jamais aimer mon autre, celle du côté de mon papa. Ca fait six mois que je supporte aller poser une rose rose comme elle les aime sur les pierres où on a disperçé, un après-midi de novembre, ses cendres.

Ces cauchemards, j'ai besoin d'en parler. Mais à quoi ça sert de le rabbacher vu qu'ils ne sont plus présents ? Juste pour ne pas les oublier, pour ne pas oublier par où je suis passée...
Je monte le long de cet escalier qu'on a tant de fois descendues sur les fesses avec ma cousine. Je la sens derrière moi, elle me parle, on a toujours été très proches toutes les deux. Et puis, elle nous appelle du bout du couloir. On se met à courrir, plus on court, plus le couloir de cet ancien hôtel, qu'ils habitent depuis plus de trente ans, s'allonge. Quand enfin j'arrive dans la chambre du fond prête à l'aider à faire le lit, ma cousine a disparu, elle ne me suit plus, je me retrouve seule face à ce spectre qui se désintègre, les yeux rouges, haineux, coléreux et cette voix, que je ne peux pas oublier : "IL EST TROP TARD, COMMENT PEUX-TU PRETENDRE ME MONTRER TON AMOUR ALORS QUE JE NE SUIS PLUS DE CE MONDE?".
A chaque fois je me réveillais les bras autour de ma couette, les joues humides, le coeur lourd, et les mains crispées à m'en faire mal. Ces rêves m'ont hantée pendant un peu plus de deux ans. J'en suis sortie, ils restent lointain maintenant, mais je ne veux pas les oublier. Les oublier se seraient l'oublier un peu elle...

Elle est partie, je l'aime d'autant plus maintenant qu'elle n'est plus qu'un souvenir... Je ne peux pas m'en défaire...

Je suis la graine de la graine qu'elle a semé. J'ai son sang qui coule dans mes veines. Et je sais enfin qu'elle veille sur moi, qu'elle surveille et qu'elle me protège de là où elle est... Ma mamie...

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